Madeleine perd petit à petit la mémoire depuis quelques temps. Rien de grave jusqu’au jour où ne retrouvant plus sa voiture elle souhaite appeler son mari, Max. Son fils, Thomas, lui apprend qu’il est mort depuis plusieurs mois. Par la suite, Thomas est le premier dont elle oubliera le nom mais il va consacrer tout son temps à sa mère qui va vivre la lente dépersonnalisation causée par la maladie.
Editions XO
Note personnelle : ★ ★ ★ ★ ★
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Pourquoi cette lecture ?
Si vous ne vous intéressez qu’au livre en tant que tel, n’hésitez pas à aller directement à la partie « mon avis ».
Spoiler : c’est un coup de coeur…
J’ai cependant eu envie et besoin de vous expliquer ce choix de lecture, car il n’est pas anodin pour moi.
Je n’étais pas certaine de lire ce livre un jour… tout simplement parce que c’est un sujet qui me touche beaucoup, pour ne pas dire trop. Il me faisait peut-être un peu peur sur une réalité à venir que je voulais occulter, je ne sais pas.
Mais bizarrement, j’ai ressenti, au final, un besoin irrépressible de m’y plonger, comme pour « me sentir moins seule », car je vis actuellement quelque chose de similaire avec ma maman, et que je me sens perdue, décontenancée et impuissante.
Avant le premier confinement, bien que placée en maison de repos pour raison de santé (aphasie cérébrale progressive), j’allais la voir tous les samedis, je passais plusieurs heures avec elle chaque week-ends, et « tout se passait bien ». Oui, elle butait sur des mots, oui, elle ne savait plus le nom des choses, mais notre relation se passait bien. On passait de très bons moments ensemble, on discutait, on rigolait, elle m’expliquait ses journées, on parlait du passé, même si elle ne se souvenait plus de tous les détails, des noms,…
Puis, il y a eu le premier confinement, et l’interdiction, pendant plusieurs semaines/mois, de la voir. La maison de repos avait proposé de mettre sur pieds des « visio » via skype ou What’sapp, mais n’a finalement jamais fait le nécessaire. Maman n’était plus en capacité d’avoir des conversations téléphoniques « normales », donc ces semaines sans pouvoir la voir ont été une rupture totale de contact avec elle. Je ne vous cache pas que je l’ai extrêmement mal vécu, comme beaucoup j’imagine.
Ensuite, les visites ont repris, sous conditions (15 minutes par semaine derrière un plexiglass et avec un masque, bien entendu), et là, comme un coup de massue : pour maman, j’étais « une dame qui vient la voir », mais non, je n’étais pas sa fille, puisque sa fille est la personne qui venait plusieurs heures près d’elle, dans sa chambre, tous les samedis. Elle était contente quand je venais la voir, mais ce n’était plus pareil. Pour elle, sa fille ne venait plus la voir. Ça fait mal de se prendre ça en pleine figure chaque semaine « je ne sais pas pourquoi ma fille ne vient plus »… car savoir qu’elle est triste de penser que sa fille ne vient plus la voir, alors que je suis devant elle…. C’est dur à vivre.
J’étais littéralement devenu une personne. Une, car j’étais unique, toujours à ses côtés, et personne, car je n’existais pas. Un paradoxe absolu, mais qu’elle vivait avec le plus grand naturel.
[…]
La situation ne me rendait pas heureux, bien sûr, j’aurais tout donné pour qu’elle se souvienne de moi, mais être à ses côtés, l’aider, tout cela me faisait du bien, à moi aussi. Ne plus la voir, ç’aurait été ne plus exister du tout.
Et puis quelques semaines plus tard, on nous apprend que comme 90% des résidents ont été vaccinés, on peut retourner voir les personnes en chambre. Là, l’espoir revient…. Je me suis dit « génial, elle va reprendre ses marques, et ça va améliorer les choses »… et au final, quand je suis arrivée, l’infirmière lui dit « vous avez une visite »… maman me regarde, et a dit « c’est qui ? ». Elle ne m’a plus reconnue du tout. Plus qu’un coup de massue, c’est un coup de poignard que je me suis pris à ce moment-là. Je ne lui en veux pas, car elle ne le fait pas exprès, c’est la progression de la maladie, mais qu’est-ce que ça fait mal.
Et c’est là que je me suis souvenue de l’existence de ce livre, et que j’ai eu envie de le lire.. Le moment était venu. Je ne sais pas ce que j’y cherchais… Peut-être du réconfort ? Briser ce sentiment de solitude extrême que je ressens ? Combler ce vide que j’ai ressenti ? Me déculpabiliser ? Je n’en sais rien. Mais j’avais juste la certitude qu’il était temps que je le lise.
(Après un changement de maison de repos au 1er avril, avec le fait d’être mieux encadrée, mieux « aidée », et mieux considérée par le personnel soignant de la nouvelle maison de repos, et la possibilité de la revoir plus souvent, à savoir 2 à 3 fois par semaine en fonction de mon état de santé et des trains que je réussis à avoir en rentrant du boulot, je suis reconnaissante de voir que maman retrouve un peu de souvenirs de moi, et surtout, retrouve le sourire… c’est pour moi le plus beau des cadeaux même si je sais que cela ne durera pas car malgré tout, la maladie continue sournoisement d’évoluer…
Mais pour l’instant, j’essaie de ne pas trop y penser et de profiter autant que possible de mes moments avec maman)
— Bonjour, maman. — Qui êtes-vous ? Ainsi, mon univers a basculé : en une phrase, je suis devenu le premier oublié.
Mon avis sur le livre
Je ne sais par où commencer… ce livre est une petite pépite !
Je ne vous cache pas que j’ai passé les 3/4 de la lecture en larmes, mais qu’importe, j’ai aimé cette lecture comme rarement j’ai apprécié une lecture…
Plus qu’un simple livre, je pense que cet ouvrage est une ode à l’amour… l’amour d’un fils pour sa mère, qui bien que celle-ci ne le reconnaisse plus, continue de veiller sur elle, de l’aimer, d’essayer de la préserver au maximum…
Ce livre, oui, est dur à lire, mais je suis tellement reconnaissante à l’auteur de l’avoir écrit, et tellement ravie d’avoir pu le lire…
Car certes, les larmes me montent encore à l’écriture de cet avis, mais ce ne sont plus tant des larmes de souffrance morale… Entre la lecture de ce livre et le changement de maison de repos de maman, je me sens apaisée, rassurée.
Dans ce livre, l’auteur utilise tellement des mots justes ! Des mots qui « sonnent vrais »… qui décrivent tellement bien le réel quotidien tant point de vue de Madeleine que de son fils.
Il nous raconte cette vie sommes toutes banale (les malades d’Alzheimer sont malheureusement de plus en plus nombreux), mais pas d’une manière à apitoyer le lecteur. C’est fait avec justesse, avec émotions, avec pudeur, et parfois même avec humour… Ce maniement des mots frôle le génie littéraire… car rarement un livre ne m’a autant bouleversée et touchée.
La succession de chapitres alternant les narrateurs – tantôt Madeleine, tantôt Thomas – est tellement ingénieuse, et elle apporte tellement au livre. Le fait que les périodes ne se suivent pas aussi… Le récit n’est pas linéaire, on doit en retracer le fil dans son esprit… au final, comme un malade d’Alzheimer essaie de rassembler les morceaux de sa vie pour en recréer le fil conducteur.
Dans un petit encadré, il était écrit en italique qu’avec Alzheimer, les cellules du cerveau se mettent à dégénérer puis à mourir. Au moins, résumée comme ça, c’est une maladie qui n’est pas compliquée à expliquer pour le médecin, ni à comprendre, pour le malade. Pour faire très court et très clair, on peut même synthétiser le tout en quatre mots : le cerveau se rabougrit. Et du coup, au bout d’un moment, on meurt. Alzhei-meurt.
Les passages de Madeleine m’ont été autant bénéfiques que les autres… Pour réaliser qu’effectivement, maman aussi souffrait sans doute de cette situation. On dit souvent que l’avantage, avec Alzheimer, c’est que la personne est dans son monde et ne se rend pas compte de son état.. Mais si ce n’était pas le cas? Cette phrase (citation ci-dessous) m’a bouleversée.
J’ai toujours autant envie de mourir. Souvent, j’ai envie d’ouvrir la fenêtre et de me jeter, mais ce n’est pas assez haut, je serais capable de me rater, juste m’abîmer.
[…]
Personne ne comprend, c’est ça ? Personne ne me comprend ? Je vais oublier, tout, tout le monde, et il n’y a rien à faire, c’est pas une raison valable, ça, pour sombrer dans la plus profonde des dépressions ? C’est pas une bonne raison pour avoir envie de se faire exploser le crâne ? J’en ai assez… J’en ai vraiment marre de tout ça. Marre, marre, merde !
Elle est terrible, cette phrase !! Se dire que la personne que l’on aime plus que tout au monde se sent tellement étrangère dans son propre esprit qu’elle a envie d’en finir…
Même si je peux comprendre le pourquoi de ces pensées… Car déjà ne plus se sentir maître de son corps quand on souffre de douleurs chroniques, par exemple, c’est déjà dur à vivre, … mais ne plus se sentir maître de son esprit, c’est se perdre complètement.
Ecrit comme un témoignage, comme un journal intime voire intimiste, est un énorme coup de coeur pour moi.
Je ne peux que vous le conseiller, les mots manquent pour le décrire,…
une merveille qui ne pourra que marquer votre âme si vous vous lancez dans cette lecture.
Encore quelques citations qui m’ont particulièrement touchée :
Et puis un jour, on vous coupe votre première jambe : votre père meurt. Un an et demi plus tard, on vous annonce que votre autre jambe est gangrenée, et qu’il n’y a rien à faire : il faudra aussi la couper, bientôt. En l’espace de dix-huit mois, votre promenade dans la vie s’arrête. Impossible d’avancer, alors qu’il y a peu, vous pouviez voir tout ce qui était encore possible, là-bas, devant. Et le chemin avait l’air drôlement bien.
***
— Maman, ma maman adorée, reconnais-moi une dernière fois, je t’en supplie, je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi, pour tout ce que tu m’as donné, l’amour, la bienveillance, et tout le reste, tout ce qui a compté pour nous. Je t’en prie, ma maman, regarde-moi bien et rassemble tout l’amour qu’il te reste. Je suis désolé, j’aurais dû mieux travailler, être plus affectueux et démonstratif avec toi, j’aurais dû te dire Je t’aime, tiens je te le dis, je t’aime maman, tu as entendu ? Je te l’ai dit ! Et toi, tu me le dis ? Allez, maman, donne-le-moi, ton amour, dis-moi que je suis ton fils. Appelle-moi Thomas une dernière fois, c’est tout ce que je te demande, dis-moi que tu m’aimes, maman, dis-moi que tu es ma maman, que je suis ton tout-petit, ton chéri, comme avant, je ne te demanderai plus jamais rien je le jure, mais reconnais-moi une dernière fois, je t’en supplie… Parle-moi, dis-moi que j’existe…
***
— Thomas, je t’aime. Je t’aime, et je t’admire, aussi. C’est magnifique, ce que tu fais. Mais il faut que tu te remettes à vivre, maintenant. Tu t’en rends compte, que tu n’as plus de vie ? Plus d’amis, plus d’amour, rien ! Alors écoute-moi bien, mon frère, parce que je dis ça pour ton bien et aussi pour celui de maman : que tu le veuilles ou non, elle part demain.
La douloureuse décision du placement de la personne… Cette impression que l’on a de l’abandonner, alors qu’on a juste fait tout ce qu’on pouvait, et qu’on doit se résoudre de passer le relai à des personnes plus compétentes… pour le bien de la personne malade…
Non pas qu’on n’en soit pas capable, qu’on soit « mal-aimant », ou qu’on s’en fiche… Non pas parce qu’on ne fait pas assez d’efforts..
Mais parce que c’est la seule décision à prendre pour ne pas sombrer et se perdre en route. Car au bout d’un moment, on n’est plus en mesure de tout assumer… Même si c’est l’une des décisions les plus dures à prendre.
***
Souvent, j’ai honte de redevenir heureux.
ça décrit tellement bien ce que je peux ressentir… l’impression de ne pas avoir le droit de « reprendre le cours normal de ma vie »…
Ton témoignage m’a beaucoup touchée, merci d’avoir partagé avec nous tes sentiments sur une situation difficile à vivre.
Et merci de nous avoir parlé de ce livre que je note. Ma grand-mère souffrant de cette maladie de l’oubli qui grignote le cerveau, je pense que cette lecture pourrait me faire du bien…
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C’est pour ça qu’il me tenait à coeur de publier malgré tout cet avis avant d’arrêter le blog.
si je te disais, ça fait DES MOIS qu’il est écrit cet article, et que j’hésitais à le mettre en ligne… ou n’osais pas, plutôt… car je me disais qu’il était trop « personnel », peut être… que ça saoulerait, je ne sais pas…
mais j’ai tellement ressenti le besoin de l’écrire.
je suis désolée pour ta grand mère… sincèrement.
C’est tellement dur de voir la personne que l’on aime se « perdre » de la sorte 😦
En tous cas si tu le lis, prépare la boite de mouchoirs… !
des bisous ❤
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Je peux comprendre qu’on puisse hésiter, mais je trouve génial que tu l’aies fait et je pense qu’on sera un certain nombre à se retrouver dans ton témoignage et tes ressentis devant la lecture…
Merci ❤
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Oh bon sang, Hylyirio, c’est affreux cette maladie… Peut-être serais-je concernée un jour ? Peut-être lirai-je un jour ce roman qui semble difficilement abordable mais très beau et sincère ? En tout cas, tu m’as fait pleurer, je suis très triste pour toi et ta maman…
Et, tu arrêtes le blog ?
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Hello,
merci à toi… même si je ne voulais pas te faire pleurer 😦 c’était pas le but…
Pour le blog, … je ne sais pas…
d’un côté, j’ai toujours cette envie de partage (mais pas que de lectures… et je pense que c’est aussi une partie du soucis. quand je suis passée de Lire sous La Lune à Hylyirio.com, c’était dans le but de pouvoir élargir la ligne éditoriale pour parler de mes autres passions, mais je ne sais pas pourquoi, je ne l’ai pas fait finalement, je suis restée centrée sur la lecture…
et clairement en ce moment, j’ai envie/besoin de partager sur du plus futile, … de toujours parler de livres, bein sûr, mais aussi de jeux vidéos , de sites sympas (ou pas) que je teste/découvre, etc…
mais je ne sais pas si j’en aurai l’énergie en ce moment, pour faire des articles « de qualité », …
du coup, … j’hésite 🙂
pour le moment, je suis surtout à fond sur deux jeux vidéos, qui me permettent de me vider la tête : animal crossing pour le côté pipou mignon, et New World qui est plus « défouloir » 🙂
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