[Lecture] La fin de ma faim (Gabrielle Izaguirré-Falardeau)

L’histoire de Gabrielle n’est pas uniquement celle d’une maladie, ni celle d’une fille normale qui, un jour, faute de manger, est devenue anormale. Son récit témoigne d’un combat qui se poursuit encore au quotidien.

Alors que sa vie ne devait être que voyages et découvertes, le chagrin et l’angoisse se sont faufilés en elle, jusque dans son sommeil. Malgré ses amitiés sincères et son amour des autres, la jeune femme a ressenti une profonde haine d’elle-même. Ainsi, les pages de ce livre ont la texture des draps usés des hôpitaux qu’elle a dû fréquenter, et leurs mots sont empreints d’autant de larmes que de rires.

En nous confiant son parcours, Gabrielle décrit l’obsession et la peur que provoque l’anorexie, tout en gardant son humour et sa pleine lucidité. Elle souhaite sincèrement que son récit aide à comprendre et à prévenir la maladie, mais surtout, surtout, qu’il parvienne à redonner espoir.

J’avais repéré ce livre sur le blog de Frogzine, il y a un petit temps déjà. Les livres sur les TCA – troubles du comportement alimentaires – sont toujours compliqués à lire je trouve. Car il est si difficile de se mettre dans les baskets d’une autre personne, … et pourtant, on a tendance à avoir tellement d’empathie pour ces personnes. C’est en tous cas mon cas. Et j’ai toujours plaisir à lire des témoignages, que ce soit sur des TCA ou autres d’ailleurs, car ils nous ouvrent sur les autres, aident à mieux les comprendre, ou du moins essayer. Et je trouve ça important surtout dans la société actuelle où l’individualisme tend à devenir la norme.

Je vais commencer par vous parler de mon ressenti sur l’histoire de vie en elle-même, sur le fond du livre…

Pour l’autrice, les TCA se sont insinués petit à petit, jusqu’à devenir une obsession… C’est un peu le propre des TCA d’ailleurs, je pense qu’il est rare qu’ils vous tombent dessus d’un coup, du jour au lendemain.  

“Selon Le Petit Robert, la silhouette se définit comme l’« allure ou ligne générale d’une personne ». Pour ma collègue Manon, Silhouette était la meilleure des variétés de yogourt. Pour moi, la silhouette était une obsession.”

Petit à petit, elle va s’enfoncer dans un cercle vicieux dont elle sera incapable de se sortir seule, … quand on regarde les choses de l’extérieur, on le sait que demander de l’aide est quelque chose de primordiale, mais quand on est dans la situation, quand on est en train de vivre ce calvaire, on ne voit pas nécessairement les choses de la même manière… 

“Je ne savais plus quoi faire, c’est vrai. Mais il n’était pas question que je retourne au Québec. Je refusais de subir cet échec, de devoir exposer ma faiblesse à tout mon entourage. Je me battrais seule et je vaincrais. J’étais assez forte pour ça. “

C’est un témoignage sur les troubles du comportement alimentaire, et je ne vais donc rien vous spoiler si je vous dis qu’au bout d’un moment, l’hospitalisation a été inévitable. Pour beaucoup, elle reste vraiment un moment de dualité totale… à la fois, c’est un moment hyper stressant, limite “humiliant”, car c’est la preuve – erronée – qu’on n’est pas assez fort pour s’en sortir et pousse à faire des choses que l’on ne veut pas, qui déchirent de l’intérieur et ça peut démoraliser, mais d’un autre côté, cet accompagnement de chaque instant est le moyen de reprendre pied et par conséquent, de pouvoir sauver des vies… 

Lors de son hospitalisation, il y a un passage qui m’a marqué  : 

“Pour chaque prise alimentaire, je devais m’asseoir devant le poste des infirmières et y rester quarante-cinq minutes. Même si le fait de demeurer immobile aussi longtemps sur une petite chaise de bois provoquait dans mes fesses plus pointues que jamais une douleur à la limite du supportable, la situation me procurait un certain plaisir. En écoutant discrètement, j’en apprenais énormément sur les vies trépidantes des infirmières et même, parfois, sur leurs méthodes pédagogiques. Ce jour-là, par exemple, l’une d’elles rapportait que son petit Vincent, âgé de cinq ans, s’était récemment plaint de sa vie, selon lui, très difficile. Sa mère, souhaitant le pousser à la confidence et craignant que son récent divorce ne l’affecte plus qu’elle ne l’avait cru, avait commencé à le questionner, pour finalement découvrir le véritable motif de ce désespoir soudain. Le petit avait candidement affirmé ceci : — Tu sais, tantôt, je voulais aller jouer dehors alors je m’étais toute préparé pis j’avais mis mes souliers d’extérieur, mais là tu m’as demandé d’aller chercher la flashlight au sous-sol, alors il a fallu que j’enlève mes souliers pis que je les remette après, alors que j’étais déjà toute prêt ! La mère, loin d’être insensible au malheur de sa progéniture, avait quand même trouvé un moyen très concret de mettre les choses en perspective : — Tu sais, Vincent, tu trouves ça difficile… Mais imagine… Toi, quand tu veux manger des chips, tu ouvres un sac de chips pis tu manges les chips qu’il y a dedans, hein ? C’est une affaire vraiment simple ! Mais, dans d’autres pays, quand les gens veulent des chips, il faut qu’ils plantent des patates, qu’ils attendent qu’elles poussent, qu’ils les cueillent, ensuite qu’ils les coupent et les fassent cuire. Et, finalement, ça peut prendre des mois avant qu’ils mangent leurs chips ; peut-être qu’ils n’en ont même plus envie ! Alors, quand tu trouves que la vie est difficile, pense aux chips. Eh bien, il était urgent que j’applique ce conseil.”

Je vous avoue que je n’avais jamais lu une anecdote pareille, elle m’a fait sourire. Et c’est clair que des choses qui nous semblent si évidentes dans notre quotidien ne le sont pas forcément pour la personne à côté. C’est pour ça aussi que je pense que s’ouvrir au monde au travers des médias mis à notre disposition (livres, reportages, télévision, presse, …) c’est aussi essentiel. Mais ça, c’est un autre débat. 

Parlons à présent de la manière dont l’histoire nous est confiée…

Pour être totalement honnête avec vous, J’ai eu un peu de mal avec la manière d’écrire de l’autrice. Cela n’en fait pas un mauvais livre pour autant, j’ai apprécié ma lecture pour le fond, c’est à dire le message qu’il veut faire passer, mais un peu moins pour la forme. 

Le livre est québécquois, donc parfois, la “barrière de la langue”, si je puis dire, était présente… mais on ne peut pas l’imputer à l’autrice… mais fatalement, il y a des termes et expressions que je ne comprenais pas toujours, et je n’avais pas toujours un ordinateur ou mon téléphone à portée de main pour en chercher la signification. 

Mais cela n’empêche pas la compréhension globale du livre, je vous rassure. 

Tout au long du récit, l’autrice parvient à nous faire passer certaines de ses émotions avec brio. Dans ces moments-là, on a tellement l’impression de “vivre” son histoire à ses côtés, si je puis dire. elle parvient parfois à nous faire passer ses ressentis vraiment facilement et de manière parfois imagée: 

“— Ce que je vis là, c’est comme si je vous plaçais devant un bassin d’araignées totalement dégoûtantes, bien qu’inoffensives, et que je vous obligeais à sauter dedans. Vous savez que vous ne mourrez pas, mais la peur prend le dessus, vous ferez tout pour ne pas sauter. Eh bien, chaque bouchée est un saut.”

Mais cela n’a pas toujours été le cas. Je sais que l’on ne peut pas juger une situation sans l’avoir vécue, mais je trouve que certaines choses sont malgré tout racontées avec un côté mélodramatique inutile. J’avoue que parfois, cela m’a un peu “éloignée” du récit. J’ai trouvé ça un peu dommage. 

Car même si les faits nous sont racontés par la personne qui les a elle-même vécus, par moment, le ton général du livre manquait de naturel, je trouve, et j’ai trouvé ça un peu dommage pour un témoignage aussi intime au final. J’aurais aimé un peu plus de simplicité dans la plume. 

J’ai trouvé aussi son ton parfois accusateur… Reprochant par exemple parfois à une personne de sa famille de se détruire par son comportement, alors qu’elle fait bien pire…
Le ton général du livre m’a donné une telle impression de condescendance que j’ai trouvé ça presque dérangeant par moments. Après, c‘est sans doute la souffrance voire la détresse psychologique qui parlait, mais de mon point de vue de lectrice, j’ai trouvé ça exagéré. 

Alors qu’en général, j’ai une forte empathie pour les personnes dont je lis les témoignages… Là, elle avait parfois tendance à franchement m’énerver, j’avais envie de la secouer un bon coup. 

Je dois vous avouer que ça m’a un peu perturbée, car je me suis dit “mais enfin, cette fille est en train de tomber dans une spirale infernale, elle va mal, et tu lui en veux presque”… c’est perturbant cette sensation… 

Je vous partage un dernier extrait… 

“ Le 1er janvier 2015, j’ai inscrit, dans le cahier noir qui me servait de journal, quatre résolutions du Nouvel An, dont la suivante : « Vaincre l’anorexie à grands coups de pied dans le cul. » On s’entend que, dans l’échelle des résolutions que les gens trop optimistes prennent sans savoir dans quoi ils s’embarquent, ce n’était pas trop loin d’« arrêter de fumer » et de « couper le sucre ». D’ailleurs, le soir du 1er janvier a été marqué par une spectaculaire crise de panique qui n’augurait rien de bon. Elle s’était déclenchée alors que nous nous apprêtions à déguster une délicieuse raclette soulignant le début de la nouvelle année. Quand maman a déposé devant moi le plateau de viandes et de fromages qu’elle m’avait spécialement préparé, une sorte d’impuissance s’est emparée de moi. J’ai aussitôt su que jamais je ne réussirais à vider mon assiette. J’ai tenté de me contrôler, bien sûr. J’ai voulu laisser croire que j’arriverais à faire fi de mes émotions, mais ces dernières ne connaissaient pas de barrières. Elles pouvaient déferler en moi quand bon leur semblait et m’inonder le cerveau de leur non-sens. Quand j’ai compris que je ne serais pas en mesure d’éviter le tsunami, j’ai couru me cacher dans la salle de bain pour hyperventiler à l’abri du regard des autres. Je crois que c’est précisément ça, le pire, dans les crises de panique. Pas l’hyperventilation, pas l’impuissance ni l’intolérable fatigue qui la suit des heures après, mais bien le regard des autres. Voir dans le visage de maman ce que je percevais comme de la déception et, dans celui de Jagoda, une certaine incompréhension. Le regard des autres me rappelait que ma maladie était honteuse, qu’elle créait le malaise et l’inconfort. Il me culpabilisait. J’étais coupable de gâcher ces moments qui se voulaient normaux. J’étais coupable de retarder notre beau souper du Nouvel An. J’étais coupable de ma folie et de mes réactions insensées. J’étais coupable, coupable, coupable..”

Ce passage m’a beaucoup interpellée, car il m’a rappelé une anecdote personnelle… 

Que ce soit dans le domaine des TCA ou celui des phobies, le résultat est un peu le même : on n’arrive pas toujours à le contrôler. On part dans des crises d’angoisse ou de panique, et la culpabilité de ne pas être normale s’empare de nous, et cela n’aide pas, au contraire. On a alors tendance à se renfermer sur soi-même… 

Ce passage m’a rappelé un été où nous étions invités à un barbecue chez mes beaux parents, pour une occasion spéciale, et j’ai fait une crise de panique tellement il y avait de guêpes qui nous tournaient autour. Il faut savoir que tout ce qui est insectes, les araignées, les guêpes, et tout ce qui y ressemble, ça me met en panique totale, je ne parviens pas à lutter contre l’angoisse qui s’empare de moi quand il y en a une dans mon environnement. Et là, une des personnes présentes a essayé de me “rassurer” en me faisant une réflexion comme quoi c’était juste “une petite bête”, et ça a eu juste l’effet de m’angoisser d’autant plus, et d’avoir envie de partir de là pour ne plus supporter le regard des gens, puisque visiblement, on préférait me juger qu’essayer de comprendre…
Bref, voilà pourquoi ce passage m’a interpellée et que j’ai eu envie de le partager avec vous.

N’oubliez pas que la personne en face de vous n’est pas toujours maître de ses émotions, et soyez tolérants et compréhensifs. 

Ce qui ressort de ma lecture au final? 

J’ai eu beaucoup de mal à mettre des mots sur mon ressenti face à ce livre. D’habitude, ils me viennent assez facilement, mais ce n’est pas le cas ici. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai mis du temps à écrire mon avis – malgré mes notes prises en cours de lecture – ou si c’est dû au livre en lui-même. 

C’est pour ça que j’ai mis autant de temps à vous en parler, je pense J’aurai mis 6 mois à me décider de vous livrer mon avis. 
C’est un récit à la fois de souffrance et d’espoir,… un combat quotidien… Une vie… On ne peut pas dire “j’ai aimé l’histoire”, ou “je ne l’ai pas aimée”, … On n’est pas là pour ça, on ne peut pas juger ça. On peut juste être spectateur et la laisser se dérouler et être touché ou pas par les faits. 

On ne peut pas non plus juger les personnages… car ce ne sont pas des personnages, mais des vies humaines… personne ne les a choisies et créées… les personnes sont comme elles sont. 

La seule chose que l’on puisse ou non apprécier, c’est la manière de raconter les choses… Est-ce que c’est fait avec dignité, ou tombe-t-on dans le larmoyant? Quel message fait passer l’auteur? Qu’est ce qui ressort du livre? 

Quoi qu’il en soit, même si certaines choses m’ont un peu dérangée, je ne regrette pas ma lecture, car une fois le livre terminé, je n’en garde que le positif, ce qu’il m’a appris, ce qu’il m’a apporté et qui nous fait “grandir”, si je puis dire. 

Ces récits de vie ont toujours quelque chose à nous apporter… et rien que pour ça, ils méritent d’être lus. 

Allez, vous me connaissez, j’adore vous livrer des passages marquants de mes lectures… alors je vous en livre encore une : 

“Curieuse, je m’y suis rendue en compagnie de ma mère. Nous avons écouté Manon avec intérêt, charmées par son discours intelligent, son écoute, son charisme et sa simplicité. Cette femme était inspirante et, même si mes plans d’avenir se résumaient encore et toujours au néant total, j’ai su cette journée-là que je souhaitais, moi aussi, devenir une femme inspirante. Je veux mourir en ayant changé un peu le monde à ma façon, en ayant défendu mes idéaux avec force et conviction, en me battant toujours pour réussir, pour m’accomplir, pour donner tort à ceux qui ne croiront pas en moi.”

Qu’est ce que j’ai aimé ce passage. C’est un bel objectif de vie de se battre pour atteindre ses buts, pour s’épanouir dans ce qu’on fait, pour prouver qu’on peut y arriver malgré tout, même si en soi, on n’a rien à prouver à personne, et on doit faire les choses pour soi… mais vous m’avez comprise 🙂 

J’en ai fini pour mon retour de lecture sur ce livre, j’espère que même si tout n’est pas “positif”, cela vous aura donné envie de le découvrir par vous-mêmes.

***

Ce livre est sorti aux Éditions de Mortagne, et si vous aimez les témoignages, les “faits réels”, n’hésitez pas à vous tourner vers cette maison d’édition québécoise car je trouve que c’est l’une des meilleures en la matière. Ils ont également une collection “tabou”, qui sont des courts romans qui abordent des thématiques actuelles et – comme son nom l’indique – tabou en générale : les agressions sur enfants, ou sur adultes, le suicide, les troubles du comportement alimentaires, le harcèlement scolaire, la transidentité, les mères adolescentes, les addictions, la maladie et le deuil…
Je trouve qu’ils ont vraiment une ligne éditoriale des plus intéressantes et abordent tous ces thèmes d’une manière simple mais efficace. Je vous mets leur lien dans la barre d’info. Attention que parfois, ils ne sont disponibles en Europe qu’au format numérique, par contre.

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Auteur : Hylyirio & A58bx

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